Le SEF 2024 (1)

Un des événements périodiques majeurs du bridge français s’est reproduit cette année, avec la publication du SEF (Système d’Enseignement Français) 2024, que beaucoup d’entre vous ont dû déjà acquérir. Bien entendu (comme d’habitude), il présente d’importantes différences par rapport au SEF 2018, lui-même déjà bien plus élaboré que le SEF 2012.

La seule notion absolument constante, concernant le SEF depuis ses débuts en 1983, et qui est dûment rappelée dans sa préface, est qu’il ne doit pas être considéré comme un ouvrage permettant d’apprendre le bridge. Il s’agit bien d’un ouvrage de référence, d’une « grammaire », destiné à donner un langage commun à ceux qui désirent s’asseoir à une table de bridge. Il ne devrait servir que rétrospectivement, comme un dictionnaire, en complément des leçons, beaucoup plus étoffées et élaborées.

Le bridge, comme tous les sports, qu’ils soient physiques ou de l’esprit, évolue. De nouvelles techniques apparaissent, des conventions anciennes paraissent dépassées, ou se sont améliorées par l’usage. Le SEF, qui était autrefois un livre de base destiné à l’enseignement et qui paraissait construit sur des bases immuables, s’est donc compliqué, ce qui donne du fil à retordre à ceux qui suivent l’évolution de près, comme les moniteurs. Telle « vérité absolue » enseignée il y a dix ans est maintenant ringarde ou obsolète. Et surtout, deux partenaires qui ne se mettent pas au courant absolument simultanément risquent des déboires à la table, certaines conventions ayant beaucoup évolué. Ceci dit, le SEF n’est pas destiné aux champions, qui élaborent leurs méthodes comme ils le souhaitent, mais à tous ceux qui jouent au bridge plus ou moins régulièrement et qui veulent tenir honorablement leur place. Le SEF 2024 a été comme d’habitude le fruit de la réflexion de nos experts français, tout ce qui y figure étant le fruit d’un consensus.

Comme en 2018, et plus encore, le SEF 2024 contient beaucoup de nouveautés par rapport aux versions antérieures. Il y a plusieurs sortes de modifications : 1°) les simples « nuances », mais qui sont parfois difficiles à gérer ; 2°) les changements vrais, qui touchent des notions anciennes qu’il faut donc réviser ; 3°) l’application de nouvelles conventions, jouées par beaucoup de joueurs depuis longtemps, mais qui n’avaient pas encore été intégrées. Nous essaierons de dégager les nouveautés les plus flagrantes.

Les classifications et évaluations des mains n’ont pas changé, car l’expérience de plusieurs dizaines d’années a entériné la façon de procéder. On trouvera un petit chapitre essentiel en plus : la loi de Verne (loi des atouts, p. 10), qui joue un rôle considérable, et même primordial en enchères compétitives. Pensez-y toujours ! (Le SEF 2018 mentionnait cette loi p. 30, à propos des barrages).

Les soutiens n’ont pas changé, mais le nouveau SEF a tendance à compter plus souvent en points H (honneurs) sans tenir compte des points HL(D) (honneurs-longueurs-distribution). Je ne suis pas sûr (surtout pour les premières années de bridge) que ce soit un progrès… Je vous recommande de continuer comme vous l’avez appris : HL en toute circonstance, fit = réévaluation en HLD. Par exemple, dans le SEF 2024, la convention Truscott (p. 13) réclame un fit et 9H pour les mineures. Dans les majeures, le Truscott réclame bien 11-12HLD (p. 21). On a donc en réalité la même valeur de 11-12HLD. Incohérence minime… Le Contre et le cue-bid du répondant sont inchangés également. Remarque au passage, destinée à beaucoup de lecteurs : la convention Lebel-Soulet (collante) ne fait pas partie du SEF. Dans la séquence compétitive du SEF : 1♣/-1-X, le Contre nie l’existence de 4 cartes à ♠. Si on joue le Contre Soulet, qui promet au contraire 4 cartes à ♠, celui-ci DOIT être alerté (le Spoutnik aussi, d’ailleurs…). Et de plus, on ne joue pas le SEF !

Les réponses à l’ouvreur après une intervention par 1SA sont inchangées. Il n’en est pas de même après une intervention bicolore (Michaël’s précisé) : la signification des deux cue-bids possibles du répondant est complètement différente (d’ailleurs plus simple à retenir, et donc plus facile en 2024). En 2018 : le cue-bid le moins cher/le plus cher montrait la couleur la moins chère/la plus chère non détenues par l’adversaire. SEF 2024 (pages 16 et 23), ces cue-bids sont forcing de manche (13+HLD) ; le plus économique montre un fit dans la couleur d’ouverture, le moins économique promet 5 cartes dans la dernière couleur. Les autres enchères sont inchangées, mais on a rajouté : l’annonce de la dernière couleur à saut est une enchère de rencontre (exemple 1-2-4 = « j’ai 9+ cartes entre et , 5+ et 4+»). Tout ceci se travaille avec votre partenaire. Assurez vous qu’il joue cette nouveauté ! Sans quoi, pataquès… Voir le cours modernisé : Défense contre les Michaël précisés. On rajoute dans ce cours, par rapport au SEF, que le cue-bid à saut dans une couleur adverse est un Splinter, avec fit de 4+ cartes dans l’ouverture et une courte dans la couleur annoncée.

Attention : les réponses du n° 3 après un contre sont peu modifiées, mais l’une d’elles l’est, et peut entraîner une regrettable confusion ! SEF 2018 : un changement de couleur à double saut est une « super-rencontre » avec 10 cartes. SEF 2024 : « le changement de couleur à double saut est un Splinter (4 atouts et singleton ou chicane dans la couleur nommée) ». Donc, signification radicalement différente. Alors, une fois de plus, mettez vous d’accord avec vos partenaires !

Changement important également après intervention à la couleur. Attention, attention ! Il s’agit de la signification de la réponse de 2SA à l’ouverture après intervention. Rien ne change sur ouverture mineure (2SA est naturel, page 14). Sur ouverture majeure, après intervention, dans le SEF 2018, bien mis en exergue en rouge : « L’enchère de 2SA n’est plus un soutien mais une enchère naturelle qui dénie le fit ». Le SEF 2024 dit exactement le contraire (p. 21) ! : « La réponse de 2SA est toujours un soutien montrant 3 atouts [comme dans le silence adverse, 2SA fitté] mais la zone de points est plus large 11-15HLD ». Encore une source d’ennuis sévères…

Les développements sur l’ouverture de 1SA, dans le silence adverse, offrent peu de changements. Cependant, pour ceux qui connaissent bien les enchères, une modification importante, une fois de plus le contraire de ce qui se faisait. Il s’agit des Texas mineurs (cf. «Théorie du singleton ») 2♠/3♣. Il était d’usage (SEF 2018, p. 28), après la transformation du Texas, d’« annoncer une majeure pour indiquer une courte dans l’autre majeure ». SEF 2024 (p. 27) : « le répondant décrit sa courte naturellement (3 courte à et 3♠ courte à ♠) ». Encore de quoi se planter sérieusement ! Par ailleurs, dans le cadre de la convention Rubensohl, les défenses contre le Contre « mineure-majeure » et contre le Landy ont été rajoutées, très faciles (p. 27) et bienvenues.

Il n’y a pas de modification en ce qui concerne les ouvertures de barrage et leurs réponses (chapitre 5).

Le chapitre sur les ouvertures fortes débute avec une précision nouvelle très importante et si souvent oubliée : l’importante de posséder, avec une main très forte à la couleur, au moins 2 levées de défense, c’est-à-dire au moins  15 ou 16 points d’honneurs. N’ouvrez pas vos unicolores très longs de 8 ou 9 levées de jeu de 2♣/ si vous n’avez pas au moins 15 points H (2 levées de défense). Il faut que votre partenaire sache que vous pourrez défendre en cas (fréquent) d’enchères adverses compétitives (expérience personnelle très récente : nous avons gagné 4♠+1 après ouverture adverse de 2 avec 8 cartes à et un seul As, donc bien 9 levées de jeu mais 13H seulement). D’ailleurs, les redemandes à 4/♠ après ouverture de 2♣ qui figuraient dans le SEF 2018 (p. 34) ne figurent plus dans le SEF 2024 (p. 32), car elles ne peuvent comporter 15H au moins. Après ouverture de 2♣ et redemande à 2/♠, le changement de couleur au niveau de 3 ne peut se faire, en 2024, qu’à partir de 7H (au lieu de 5H en 2018).

Encore un changement radical entre 2018 et 2024, dans le chapitre 7 « redemandes de l’ouvreur », en enchères compétitives. Dans le SEF 2018, p. 42, il est spécifié que l’enchère de 3SA de l’ouvreur après un Contre d’appel du n° 2 conserve son sens artificiel de fit de 4 cartes (alors qu’après une intervention à la couleur du n° 2, le sens naturel prévaut) : voir la séquence ci-contre à gauche. Donc, fitté après contre, mais non fitté autrement. Cela demandait un effort de compréhension et de mémoire assez compliqué. Le SEF 2024 simplifie tout ça, en décrétant que 3SA indique dans tous les cas l’envie de jouer ce contrat. Donc, non fitté (voir la séquence de droite). Il s’agit bien ici d’une simplification, mais tout de même à travailler avec son partenaire !…

Les redemandes de l’ouvreur à SA sont peu modifiées dans le silence adverse. Il faut souligner néanmoins l’introduction du « mini-maxi » après ouverture d’1 et la réponse de 2♣. Cette méthode, utilisée depuis fort longtemps, devient « SEF ». Le méthode est décrite dans le « Dictionnaire des enchères », dans la fiche 1-2♣-?. Et par conséquent, la redemande à 3SA est acceptée avec un singleton, dans le cas précis d’une main 4441 avec singleton ♣ et 15 à 17H.

En enchères compétitives, pour les redemandes de l’ouvreur, le SEF 2024 insiste sur la notion, pour l’ouvreur, de redemande libre (lorsque le n°4 a parlé, l’ouvreur est dégagé de l’obligation de répondre) et de redemande forcée. Par exemple, la redemande à 1SA sans intervention du n°4 ne promet en aucun cas un arrêt dans la couleur d’intervention du n° 2 (redemande forcée après une enchère forcing : 1-1-1♠-Passe-?, 1SA ne promet pas l’arrêt ), alors qu’au contraire, après une intervention du n° 4, l’arrêt est garanti (car l’enchère devient libre : 1-Passe-1-1♠-?, 1SA promet cette fois l’arrêt ♠, puisque sans cet arrêt, on aurait le droit de Passer). En revanche, l’enchère de 2SA promet l’arrêt dans tous les cas. L’explication est ici très claire et bienvenue.

Le Cue-bid de l’ouvreur, qui ne change pas, est cette fois bien décrit et beaucoup moins confus, à notre avis, que dans la version 2018. Son emploi ne devrait plus vous poser de problème…

Il reste bien des choses à dire sur ce nouveau SEF, d’autant que nous n’en sommes arrivés qu’au milieu. Ceci fera l’objet d’un autre article, à paraître dans moins d’un mois, espérons le. En attendant, attelez vous déjà, avec votre (ou vos) partenaires, aux différents changements décrits plus haut. Je vous souhaite de pouvoir éviter au maximum les incompréhensions, qui malheureusement sont quelquefois inévitables au bridge. Bon courage à tous !

Olivier CHAILLEY