Faut-il avoir peur des cue-bids ? (3)

Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit le Caravage (1571-1610), Méduse (vers 1597)

Tout vient à point à qui sait attendre (cf. François Rabelais, Pantagruel, Livre IV, chapitre 48). Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage (Jean de La Fontaine, Le Lion et le Rat). Chère lectrice, cher lecteur, restés sur votre faim et votre soif d’en apprendre davantage sur les cue-bids pendant près d’un an, vous allez enfin avoir un peu de grain à moudre. Une petite question insidieuse au passage : avez-vous utilisé davantage de cue-bids après avoir lu les deux derniers articles sur la question ? Sinon, relisez-les ! Ils portaient sur des situations fréquentes, toujours après une ouverture de 1 à la couleur : les cue-bids de l’intervenant n°2 (cue-bids directs), les cue-bids du répondant n°3, et nous avions abordé les cue-bids en réveil du n°4, cue-bids qui s’apparentent un peu aux cue-bids Michaël tout en étant différents (attention !). Il y a encore beaucoup à dire sur les cue-bids du n°4, joueur qui est en réalité rarement en réveil avec une main de cue-bid. Les joueurs qui le précèdent ont pu souvent s’exprimer, soit l’un d’eux seulement, soit les deux.

Les cue-bids du n°4 (suite)

Le répondant a nommé une nouvelle couleur : le n°2 n’étant pas intervenu, et le n°3 ayant répondu à l’ouvreur, le n°4 se trouve dans la situation typique d’un « sandwich », coincé entre deux joueurs dont il ne connaît absolument pas la force. Exemple : S 1 – O passe – N 1 – E ?. C’est une situation dangereuse par excellence, où le n°4 doit réfléchir longuement avant d’intervenir (et surtout, avoir un beau jeu !). Voir le cours de 3ème série : Intervention en sandwich du n°4. Que signifierait ici un cue-bid, où vous avez d’ailleurs le choix entre les deux couleurs annoncées par l’adversaire ? Attention, piège ! L’enchère par le n°4 de la couleur du répondant (ici, 2) n’est pas un cue-bid (voir l’introduction sur la signification du mot cue-bid) ! C’est en effet une enchère naturelle, avec en général six cartes (à ) et l’acceptation de jouer avec une répartition au moins 4-1 en face. Vous n’avez donc qu’un seul réel cue-bid, l’annonce de la couleur de l’ouvreur (ici, 2). Ce cue-bid annonce un bicolore au moins 5-5 dans les deux couleurs non nommées (avec un 6-5, les 6 cartes sont dans la couleur la moins chère, car autrement, il vaudrait mieux annoncer son bicolore naturellement, en commençant par la couleur la plus chère). Ce cue-bid est constructif, avec au maximum 6 perdantes. Rappel : avec un 5-5 de « sacrifice » ou un 6-5 faible, on préfère 2SA au cue-bid. Ce dernier est donc plus fort.

Le n°2 est intervenu et le n°3 a passé : Nous avons ici le cue-bid le plus classique, peut-être le plus fréquent, et surtout le premier qui est enseigné aux élèves, dès le début des cours lorsque l’on aborde les enchères compétitives. Voir le cours de 4ème série : Réponse à l’intervenant au palier de 1 (2). Ce cue-bid du n°4, essentiel, sert à demander au partenaire, le n°2, s’il est intervenu ou non avec la valeur d’une ouverture. Exemple : S 1 – O 1♠ – N passe – E 2. On peut se permettre cette enchère dès que l’on a une main assez forte, de 13HL ou 13HLD (si fit). Si le partenaire n°2 n’avait que 8 à 12HL, on s’arrête sagement au niveau de 2 : une redemande de l’intervenant au-dessous ou au niveau de la répétition de sa couleur d’intervention signifie qu’il n’a pas l’ouverture (ici, il dirait 2 ou 2♠). Le n°4 passe, revient au niveau de 2, ou bien, avec un peu de réserve (15-16HLD), peut bien entendu quand même faire une enchère d’essai, ou même déclarer la manche avec 17-18HLD (dans ce dernier cas, le cue-bid servait surtout à explorer les possibilités d’un chelem malgré l’ouverture adverse !). Evidemment, si au départ l’intervenant avait l’ouverture, une manche est en vue et il fait une redemande plus forte (ici, à partir de 2SA). Au besoin, sans meilleure enchère, il peut même lui-même cue-bidder (ici, 3). Remarque importante, car on voit souvent cette erreur à la table : le cue-bid du n°4 après passe du n°3 ne promet pas le fit, donné éventuellement ultérieurement. Il ne promet que 13HL(D) et plus, sans meilleure enchère.

Le n°2 est intervenu et le n°3 a parlé : Cette situation est un peu plus compliquée. Remarquons immédiatement que nous disposons ici d’une enchère supplémentaire pour dire que nous avons du jeu : le contre (ou surcontre si l’adversaire a contré). En conséquence, un cue-bid montre ici toujours un fit. Au niveau de 2, ce cue-bid promet un fit de 3 cartes au moins. Si on doit le faire au niveau de 3, il montrera un fit d’au moins 4 cartes. Par exemple, après la séquence S 1 – O 1♠ – N 2 – E ?, avec la main présentée, Est peut dire 3, fitté par 4 cartes. Avec 3 cartes seulement à ♠, il doit plutôt contrer (suivi du fit au tour suivant). Si la séquence avait été S 1 – O 1♠ – N X – E ?, même avec seulement 3 cartes, un cue-bid à 2 était possible.

En résumé, le cue-bid simple en réponse à une intervention majeure : 1°) au palier de 2, ne promet le fit que si le joueur n°4 a parlé ; 2°) au palier de 3, garantit un fit de 4 cartes ; 3°) au palier de 4, est un splinter. Et si l’intervention était mineure, la longueur du fit n’est plus le critère essentiel. Le cue-bid est utilisé soit pour trouver un fit majeur annexe, soit pour rechercher un contrat de 3 Sans-Atout.

Les cue-bids de l’ouvreur

Il y a ici en gros deux situations bien différentes. Soit l’ouvreur est obligé de parler (la réponse de son partenaire est forcing), soit il ne l’est pas, parce que le partenaire a parlé de SA, ou bien parce que le joueur n°4 à sa droite a fait une enchère, le délivrant de l’obligation de parler. Le cue-bid, dans ce dernier cas, est dit « libre ».

Le n°3 est le dernier à avoir parlé, et l’ouvreur est obligé de répondre : Prenons un exemple S 1♣ – O 1 – N 1♠ – E passe – S 2. Cette enchère signifie surtout que l’on n’a pas mieux, pas de fit ♠, pas d’arrêt pour jouer SA. Dans certains cas, cette enchère ne promet même pas une main forte !

Le n°4 est le dernier à avoir parlé, et rien n’oblige l’ouvreur à répondre : Nous sommes dans le cas d’un cue-bid « libre ». Ici le cue-bid décrit une main très forte ; il est forcing de manche. Il est nécessairement fitté par 4 cartes (au moins) dans la couleur du répondant. Exemple de séquence (figure ci-contre) : S 1♣ – O passe – N 1♠ – E 2 – S 3. L’ouvreur a ici une main de manche, même si la réponse de Nord est minimum. Il est important de constater que ce cue-bid simple n’indique rien en ce qui concerne les (erreur souvent commise). Lorsqu’il y a un singleton dans la couleur adverse (ou un As sec ou une chicane), on peut l’exprimer en faisant un cue-bid à saut, qui d’ailleurs est le seul splinter possible en cas d’intervention. Par exemple, si l’intervention avait été 2 , la séquence devenait S 1♣ – O passe – N 1♠ – E 2 – S 4. Dernière remarque concernant ce cue-bid à saut : ne le faites pas avec une main trop forte (21-23HL), même avec un singleton. Un chelem est possible. Contentez-vous d’un cue-bid simple, sans saut. Les développements ultérieurs seront facilités.

Les autres cue-bids

Bien entendu, tous les cue-bids ne se font pas à bas palier, et toutes les séquences peuvent susciter parfois des cue-bids. Vous connaissez par exemple le cue-bid par le n°2 de l’ouverture de 2 faible (2/♠ – 3/♠), qui indique un bicolore mineur de l’intervenant : cf. le cours de 3ème série Défense contre les barrages (2). En dehors de conventions bien précises, il convient de toujours garder le cue-bid comme possibilité dans un coin de sa tête. Il est toujours utilisé faute de meilleure enchère, et promet évidemment un jeu fort (rares exceptions). Dans un contexte de SA (ou de mineures) il recherche souvent un arrêt dans la couleur pour jouer SA. Dans d’autres contextes, il est forcing de manche ou chelemisant, et il a toujours comme vertu de rendre la couleur nommée au tour suivant forcing, que ce soit un fit ou non.

La question que vous devez toujours vous poser lorsque vous entendez un cue-bid chez votre partenaire : pourquoi n’a-t-il pas fait une autre enchère, qui aurait été toujours prioritaire ? En passant en revue les enchères possibles entre la dernière enchère et le cue-bid, il arrive bien souvent que l’on puisse faire d’importantes déductions concernant le jeu du partenaire (et donc des adversaires). C’est en tout cas un entraînement à ne pas manquer.

Le cue-bid est un outil formidable, malheureusement un peu méconnu des joueurs de niveau moyen, et qui mérite de faire partie de la panoplie des enchères compétitives. Même si son emploi n’est pas très fréquent, entraînez-vous et surtout, n’oubliez pas qu’il existe ! Et, bien entendu, n’en ayez pas peur !

Olivier CHAILLEY

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14 commentaires sur “Faut-il avoir peur des cue-bids ? (3)

  1. Bonjour Monsieur Chailley,
    Le lien vers la version imprimable de ce nouvel article n’est pas valide.
    Merci pour tout votre travail et son partage.
    Cordialement.

    • Cher ami bridgeur,
      Il y a en effet un bogue important sur mon site, qui ne me permet pas de réaliser des liens fiables. Ceci devrait être arrangé dans une semaine environ… Merci pour votre patience !
      Cordialement,
      Olivier CHAILLEY

  2. Cher Monsieur,
    Je confirme qu’il n’est, hélas, pas possible de télécharger la version imprimable de votre texte. Et moi aussi tiens à vous remercier pour tout le travail que vous accomplissez.
    Bien à vous,
    Ph. S.

  3. Merci pour cet article particulièrement intéressant qui complète les 3 précédents. Le lien pour une impression n’est pas actif sur votre site.
    Cordialement
    J-CP

  4. Cher Monsieur,
    Merci pour ce cours toujours aussi clair, en particulier sur la notion de fitté ou non en réponse à une intervention en majeure. Dans cette situation du n°4 qui soutient l’intervention, vous parlez du cue-bid au niveau de 3 sans parler du cue-bid à saut qui je pensais garantissait un fit par 4 cartes et un beau jeu, que le N°3 ait parlé ou non.
    Cordialement.

    • Cher ami bridgeur,
      Vous avez raison, mais cet article ne cherche pas à être exhaustif (comment d’ailleurs le pourrait-il ?). Un cue-bid à saut au niveau de 3, en réponse à une intervention au niveau de 1, est une enchère limite précise, avec 11-12HLD et 4 atouts. Au niveau de 4, il y a bien entendu une main de manche, avec au moins 16HLD (il peut n’y avoir que 8H en face), avec en plus une courte dans la couleur du cue-bid, sorte de splinter. Vous pouvez, pour voir cela, consulter la fiche 1♣-1♦-passe- ? du Dictionnaire des enchères compétitives.
      Bien cordialement,
      Olivier CHAILLEY

  5. Cher Monsieur,
    Merci pour votre site. J’assimile mieux les enchères, débutant 1ère année dans un club.
    Donne 5, exercice 8 : je ne comprends pas l’entame du ♦3, face à un chelem.
    Où trouver dans vos cours quelques explications ?

    • Chère amie bridgeuse,
      L’entame contre un chelem doit être, sans information tirée des enchères, la plus neutre possible, ici le ♦2 (il y avait une faute, je l’ai corrigée : ♦2 et non ♦3). Bien cordialement.

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