Spoutnik simple, mode d’emploi

Spoutnik, premier satellite artificiel de la Terre, 1957

Le « contre » Spoutnik (en général écrit avec un S majuscule) est un contre conventionnel qui a été inventé en 1957 par Alvin Roth (1914-2007), célèbre joueur américain et l’un des meilleurs du monde. Il l’avait en réalité baptisé « contre négatif » (ce qui signifie « non punitif »), mais les Français l’ont rapidement rebaptisé contre Spoutnik, car cette année là a été lancé le premier satellite artificiel de la Terre, Spoutnik 1. Cette appellation est restée aujourd’hui (negative double en anglais). Tous les bridgeurs, même débutants, connaissent le « Spoutnik », mais que d’erreurs à la table, malgré deux cours sur la question dans le présent site : L’ouvreur après intervention (1) et L’ouvreur après intervention (2) ! C’est pourquoi il est apparu utile et opportun de refaire un peu le point, notamment après la parution de la dernière édition du SEF (Système d’Enseignement Français) en 2018.

Le Contre Spoutnik est abordé pour la première fois, dans la progression des cours de ce site, en 3ème série, dans les enchères compétitives. Cette convention aurait bien sûr dû être placée plus en amont dans les cours, tant elle est indispensable. Mais elle aurait été bien difficile à expliquer à un débutant ou même à un joueur de 4ème série. Et en 3ème série (troisième année de bridge, à peu près), je me suis contenté de parler du Spoutnik simple. Restons-y un moment, car c’est là que commencent les ennuis… Et le Spoutnik généralisé, placé en 2ème série, viendra tout seul ensuite. Nous n’en parlerons pas aujourd’hui. D’abord, qu’est-ce que cette convention Spoutnik ? Nous ne parlerons ici que du Spoutnik du répondant (le n°3). Il s’agit d’un contre dont la signification générale est : « Partenaire, si mon voisin de droite n’avait pas parlé, j’aurais eu une enchère, mais maintenant, je n’ai plus les conditions pour la produire ». La première obligation pour faire un Spoutnik apparaît ici évidente. Il est interdit de préférer le Spoutnik à une enchère naturelle. Ce que l’on appelle le Spoutnik simple est un Contre du n°3 quand l’intervenant a dit 1♠ sur l’ouverture d’1♣ ou 1. Après les interventions à ou (1♣-1 et 1♣/-1), un contre s’appellerait plutôt « contre d’appel du répondant ». Débarrassons-nous d’abord, à ce propos, d’une façon d’annoncer très répandue dans les clubs (et dans d’autres pays), mais qui n’est ni Spoutnik, ni SEF. Il s’agit justement des interventions à ou suivies de contre. Ce contre conventionnel est alerté comme signifiant, sur 1, exactement 4 cartes à . Et sur 1, exactement 4 cartes à ♠. En corollaire, 1 ou 1♠ (au lieu du contre) auraient promis 5 cartes au moins. Cette convention est connue en France sous le nom de « contre Lebel-Soulet ». Non seulement cette convention ne figure pas au SEF, mais les auteurs eux-mêmes l’ont abandonnée depuis longtemps en raison de ses inconvénients [pour les joueurs de compétition que cela intéresse, elle a été remplacée par le cachalot (Spoutnik rotatif) ou la baleine bleue]. En effet, comment annoncer après un début 1♣/ et 1 d’intervention avec ♠R86 932 D843 ♣A109 ? La convention Lebel-Soulet n’a pas de réponse dans cette situation pourtant fréquente. Le SEF annonce donc les couleurs majeures au niveau de 1 (1/♠) à partir de 4 cartes, et le jeu ci-dessus, qui n’a pas d’enchère satisfaisante mais quelques points, s’annonce par un contre (« je n’ai ni 4 ni 4 ♠ »). Mon avis est donc, si vous jouiez jusqu’à présent le Lebel-Soulet, de laisser tomber. Et si vous entendez un contre à la table, demandez surtout ce que cela veut dire au partenaire du contreur (les gens n’alertent souvent pas !) : 4 cartes exactement à /♠ ou bien au contraire « ni 4 ni 4 ♠ ». L’importance d’une réponse précise à cette question ne vous échappera pas.

Revenons au Spoutnik simple, après ouverture d’1♣/ et intervention à 1♠. Voici le texte du SEF 2018 : « Le contre Spoutnik simple s’emploie 1°) avec 4 cartes à exactement et au moins 8HL, sauf main forcing de manche avec une longue dans l’autre mineure dont la nomination est prioritaire ; 2°) 5 cartes à et 8 à 10HL ». Vous voyez donc que pour le SEF, il y a toujours 4 cartes à au moins lorsqu’on contre Spoutnik. Evidemment, il n’y a pas non plus de meilleure enchère : 2 peut s’annoncer à partir de 11HL (avec 8 à 10HL, contre). Et si l’on est bicolore, on applique la règle générale des enchères bicolores : Avec un 5-4 ♣/, par exemple, on annonce 2♣ (sur l’ouverture d’1) à partir de 13HL (voire 12HL), on contre avec 8 à 12HL (contre Spoutnik, car on n’a pas « les moyens » d’un 2 sur 1). En résumé, et c’est ce que je recommande à tous les bridgeurs qui n’ont pas des ambitions de compétition nationale ou internationale, un contre Spoutnik simple signifie TOUJOURS « j’ai du  ». Est-ce bien vraiment ce que vous observez dans votre club ?

Alors, évidemment, que devez-vous faire en tant que n°3 si vous possédez, après ouverture d’1♣ et intervention à 1♠, la main suivante : ♠953 R102 AV53 ♣V42 ? 1SA est impossible, il vous reste donc le choix entre contre et passe. Ici, la seule possibilité est passe, car un contrat à 7 atouts à ne convient pas en raison de votre longueur à ♠. Votre partenaire sera amené à couper de la main longue et, raccourci, aura bien du mal à réussir un contrat ! Ce passe peut se faire jusqu’à 10H, voire même parfois 11 points très laids, si vous n’avez ni 4 cartes à , ni d’arrêt ♠ ! Je sais que c’est très frustrant, mais c’est du meilleur bridge que de prendre un risque inconsidéré. Cette situation est particulièrement fréquente…

Existe-t-il tout de même des situations où un bon joueur (2ème série majeure au moins, les autres, abstenez-vous) peut être amené à prendre des risques ? Comme toujours, c’est en anticipant la suite du jeu qu’on doit prendre ses décisions. Contrer sans 4 cartes à ne peut s’envisager qu’avec des mains de 9-10(11) points possédant une courte à ♠. D’ailleurs, ceci illustre un principe général des enchères du répondant après intervention : prise de risque si l’on est court dans la couleur adverse, pas de folie si l’on est long (M. Bessis). Voici une main où le risque d’un contre Spoutnik pourrait être pris presque allègrement, après ouverture d’1♣ (et intervention à 1♠) : ♠8 A105 RV1064 ♣V942 → contre. Il faudra déjà tendre davantage le dos avec : ♠93 R87 AD643 ♣1052, mais les plus téméraires pourront parfois se lancer (vert contre rouge ?). Normalement, l’ouvreur ne sera pas déçu quand vous étalerez ce mort court à ♠, permettant bien entendu de couper de la main courte…

Abordons maintenant le cas où vous, le répondant, avez 5 cartes à . Supposons que vous ayez ♠95 RV965 A104 ♣953. Ouverture : 1, intervention à 1♠. Vous contrez (enchère Spoutnik parfaitement normale), et le n°4 soutient son partenaire à 2♠. Passe de l’ouvreur, passe de l’intervenant, et la parole vous revient. Que faire ? Dire 3 serait bien téméraire. Pourtant, votre partenaire pourrait parfaitement détenir ♠763 A104 RD762 ♣A4, main qui procure sans problème neuf levées, et même parfois dix, avec beaucoup de chance. Sans convention particulière, ce cas est inextricable. Mais certains ont imaginé, pour les fans de conventions, une façon assez pratique de décrire ce genre de situation. Il s’agit de la convention Rodrigue. Ceux qui me connaissent savent que je l’aime bien (en réalité, aujourd’hui, très peu de joueurs l’emploient vraiment). Elle est surtout utile en match par paires, où l’on privilégie les majeures plus souvent qu’en match par quatre. Il s’agit de convenir que l’annonce d’un fit dans la couleur d’ouverture (1♣/) à 2♣/ montre en réalité 5 cartes à avec une main insuffisante pour dire 2. Evidemment, il faut avoir de quoi faire un Spoutnik, donc posséder au moins 8HL (6H et 6 cartes à , ou 7H et 5 cartes à ). L’inconvénient est que vous ne pouvez plus annoncer un fit mineur éventuel (attention aux confusions !). L’avantage est que le Spoutnik simple indique maintenant exactement 4 cartes à , puisque vous auriez dit 2♣/ si vous aviez eu avec 5 ou 6 cartes à . L’ouvreur sait maintenant exactement où il va (à , mais pas à ♣/ !).

Et maintenant que vous avez contré Spoutnik, que doit faire l’ouvreur. Le principe général est très simple. Il sait que vous avez du avec 8HL au minimum (et non 6HL comme en l’absence d’intervention). Il a le fit ou il ne l’a pas. Si l’ouvreur a le fit, il fait comme en l’absence d’intervention adverse, mais un peu atténué (1 ou même parfois 2 points de moins). Pourquoi atténué ? Pour deux raisons : 1°) vous avez 8HL minimum et non 6HL ; 2°) nous sommes, après l’intervention du n°2, en enchères compétitives. Il faudra si l’on peut, comme toujours en enchères compétitives, différencier les mains régulières des mains irrégulières. Voici des exemples : avec ♠D62 AV84 R6 ♣RV43 (15HLD), l’ouvreur soutient simplement à 2. (manche lointaine si le contreur Spoutnik est minimum). Mais avec ♠5 A1062 R104 ♣AD973 (16HLD), il peut dire 3 (il serait resté à 2 sans intervention). Et maintenant, avec ♠V104 AD75 ARV106 ♣5, il saute à 4 (avec ses 18HLD, il serait resté à 3 en l’absence d’intervention). De même, les Splinters (3♠ à saut) sont atténués en force, par exemple : ♠5 A1084 AV2 ♣AR1096 (19HLD) → 3♠. J’en profite pour faire un rappel, mais vous connaissez bien cette restriction : en enchères compétitives, les Splinters n’existent (sauf cas très particuliers) que dans la couleur adverse. Avec des mains fortes (19+HLD), il faut avoir recours à un cue-bid préalable : ♠V9 AD72 AR6 ♣AV53, que l’on fera suivre de 4 avec une main régulière, d’une autre enchère (un nouveau cue-bid, un Splinter ou 3), avec un jeu irrégulier fort. Exemple : ♠AR2 R1062 3 ♣ARD82 (22HLD) → 2♠, et sur la redemande à 3♣ de votre partenaire, 3 qui devient forcing et chelemisant après le cue-bid.

Enfin, que peut faire l’ouvreur quand il n’a pas le fit ? Il a quatre possibilités : faire une enchère à SA, répéter sa couleur, annoncer une nouvelle couleur (bicolore), faire un cue-bid. Remarquez tout de suite, donc, que le cue-bid que nous avons décrit au paragraphe précédent n’implique pas le fit dans un premier temps. Il indique seulement un jeu fort sans meilleure enchère. Commençons par les enchères à SA. Attention : 1SA ne promet pas l’arrêt ♠ ! En effet, que dire avec ♠1054 A103 RV75 ♣AV6 ? Si le répondant veut jouer 3SA, il faudra donc qu’il vérifie cette tenue (par un cue-bid). Il y aura, en cas de malheur (pas d’arrêt ♠) toujours la possibilité de jouer une manche mineure ou 4 à 7 atouts. Evidemment, si l’ouvreur avait une mineure 5ème au départ, il sera toujours meilleur de la répéter que de se réfugier à SA sans l’arrêt ♠. Les enchères à saut de 2SA (15-17H, non forcing) ou 3SA montrent en revanche un solide arrêt ♠. 3SA directs, classiquement, nient 3 cartes à , car en effet le contreur Spoutnik pourrait avoir 5 cartes à . 2SA montre une main automatiquement irrégulière (puisque non ouverte de 1SA avec 15-17H), avec presque toujours, par conséquent, une courte à (singleton). Exemple : ♠RV105 5 AD4 ♣AD964 → 2SA. Attention : le répondant, s’il entend 2SA, doit donc y réfléchir à deux fois avant de conclure à 3SA…Vous voyez que le bridge n’est pas une affaire simple !

Les autres possibilités, pour l’ouvreur sont de répéter sa couleur (c’est facile), nommer une nouvelle couleur, ou faire un cue-bid. Voyons les deux dernières possibilités rapidement. La nouvelle couleur indique une nouvelle couleur, mais attention ! Si 1 suivi de 2♣ est un bicolore économique non forcing, 1♣ suivi de 2 reste un bicolore cher. Il peut être un peu atténué (compétitives) mais il reste forcing. Alors, avec ♠V52 9 DV64 ♣ARV64, vous ne pouvez pas annoncer vos , il faudra vous contenter de 2♣. Il reste maintenant le cue-bid, qui comme souvent, indique une main forte sans enchère naturelle. Ce sera notamment le cas quand l’ouvreur aura besoin d’un arrêt à ♠. Exemples : ♠962 A5 ARD106 ♣AV9, ou bien ♠8 AV4 AD3 ♣ARV642. Dans ces deux cas, après le contre Spoutnik, le jeu est trop fort pour la redemande possible, il faut passer par un cue-bid à 2♠. Un seul grand principe simple pourra éviter les mésententes entre partenaires : après un contre Spoutnik et une redemande banale de l’ouvreur, seul le cue-bid du répondant est forcing (M. Bessis). La conséquence directe est que les autres enchères du répondant sont au mieux propositionnelles.

Mais malheureusement, les choses ne sont pas toujours aussi « simples » ! L’adversaire (le n°4) ne va pas toujours vous laisser vous exprimer librement, il va notamment souvent soutenir son partenaire en disant 2♠ (ou 3♠). Et là, l’ouvreur devra se montrer courageux. Lorsqu’il a le fit (4 cartes à ), le principe général est qu’il pourra décaler ses enchères d’une zone (d’une seulement !). Avec ♠104 AD72 RD85 ♣D103, si le n°4 soutient à 2♠, → 3, à la guerre comme à la guerre. Mais tout de même, avec ♠DV2 R764 RV2 ♣R54, mieux vaut passer ; sans As, avec des points perdus à ♠, il ne faut pas abuser… Et si l’adversaire est un peu haut, parce qu’il a répondu 3♠ sur l’intervention du n°2, l’ouvreur ne pourra jamais dire 4 sans un très beau jeu. Même avec ♠95 AV62 RD876 ♣R4, il ne peut que passer (il aurait dit 3 sur 2♠). Petite remarque : avec un très gros jeu, sur 2♠ de soutien du n°4, l’ouvreur peut cue-bidder à 3♠. Et bien sûr, après soutien adverse, ce cue-bid promet le fit, alors que ce n’était pas le cas dans le silence du n°4.

Bien entendu, l’ouvreur, après le soutien du n°4 à 2♠, n’a pas toujours le fit , loin de là. Avec une bonne distribution (bicolore mineur ou bel unicolore), il l’annonce au niveau de 3, et ceci ne promet en aucun cas un gros jeu. Et, avec une main plus forte, irrégulière de 15 à 17 points, ou régulière de 18-19 points (en général, donc, avec au moins 18HL), l’ouvreur recontre, passant comme message à son partenaire : « J’ai un beau jeu qu’aucune enchère naturelle ne peut bien décrire ». Avec ♠10 R104 AV54 ♣AR1062, après ouverture d’1♣, et soutien du n°4 à ♠ après le contre Spoutnik de votre partenaire, il vaut mieux dire contre que 3. Et avec ♠V54 6 AR7 ♣ARV642, le recontre s’impose, car vous avez beaucoup trop de jeu pour vous contenter de 3♣.

Et enfin, il nous reste à voir le réveil du n°3, contreur Spoutnik, si après le soutien du n°4 à 2♠, l’ouvreur et l’intervenant passent tous deux. Quelquefois en match par quatre, mais souvent en match par paires, on ne veut pas laisser l’adversaire jouer 2♠ (et prendre un top en raison du fameux 110 !), il faut donc choisir avec soin son réveil. Les réveils naturels sont évidemment purement compétitifs et non forcing. Avec ♠V5 DV84 A1073 ♣D103, si votre partenaire a ouvert d’1, après votre contre sur 1♠ et le passe de l’ouvreur sur le 2♠ du n°4, vous devez évidemment maintenant dire 3. De même, même après l’ouverture de 1 et la même séquence adverse, réveillez à 3♣ avec ♠9 10873 A5 ♣RV10874. Votre partenaire choisira entre passe, 3, ou 3. Le cue-bid en réveil indique un jeu fort, il est forcing de manche, et demande dans un premier temps l’arrêt ♠. Et le contre est employé avec une main forte, ou un jeu moyen sans enchère naturelle évidente. Après la même séquence, vous êtes en réveil après l’enchère de 2♠ à votre gauche avec ♠85 A1073 R62 ♣R1084 → contre à nouveau ! Vous n’allez tout de même pas laisser jouer 2♠ !

Vous avez pu vous apercevoir, tout au long de ces lignes, qu’une convention élémentaire comme l’est le Spoutnik simple résume tous les problèmes qui se posent au bridge en compétitives : modification des fourchettes de points, réponses plus agressives, utilisation du cue-bid, anticipation des enchères à venir, etc. Bien entendu, toutes les situations n’ont pu être évoquées, par exemple une enchère émanant du n°4 qui serait non pas un soutien de son partenaire l’intervenant, mais un surcontre, un cue-bid ou un changement de couleur. Il faudra dans ces cas faire preuve d’imagination et surtout appliquer la règle constante du bridge : réfléchir, réfléchir et réfléchir. Et pour ceux qui voudraient rester dans le bain du Spoutnik, il reste à voir le Spoutnik généralisé. Un cours de 2ème série est à votre disposition pour vous familiariser avec cette notion. Mais alors, accrochez-vous, car il va falloir sauter en parachute !

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