Qui d’entre vous n’a remarqué la diversité des signalisations pratiquées entre les partenaires du flanc ? D’aucuns annoncent jouer la première défausse italienne, d’autres vous expliquent qu’ils jouent la défausse Lavinthal à SA mais la défausse italienne à la couleur, d’autres encore qu’ils pratiquent la défausse chinoise… La variété est grande et l’efficacité de ces différents systèmes douteuse si on ne les possède pas parfaitement. L’objet de ma présentation d’aujourd’hui n’est pas de vous enseigner la signalisation, sujet beaucoup trop vaste pour être appréhendé en un ou deux articles, mais de plaider pour une uniformisation du système pratiqué chez nous, en France, et qu’on appelle de façon générale l’appel direct.
Petit rappel de ces différents systèmes rencontrés à la table :
La défausse italienne, comme son nom l’indique, est pratiquée surtout en Italie, et se réduit chez nous, notamment chez les débutants, à la « première défausse italienne ». Elle a l’avantage d’être très aisée à apprendre, et très facile à guetter au cours du jeu puisqu’il n’y a qu’un seul appel. Au moment de la première défausse, on « appelle » avec une carte impaire ou on « refuse » avec une carte paire.
La défausse Lavinthal (ou appel Lavinthal) : Il s’agit de défausser d’une couleur pour laquelle on n’a aucun intérêt, la hauteur de la carte révélant une préférence pour l’une ou l’autre des couleurs restantes (hors couleur demandée et hors couleur défaussée). Par exemple la défausse du ♥8 dans une levée à ♦ montre un désintérêt pour les ♥ et une préférence pour la plus chère (la plus haute) des deux couleurs restantes, ici ♠. Le ♥3 aurait indiqué plutôt que l’on voulait du ♣. On l’utilise surtout à Sans-Atout.
La défausse chinoise (ou appel chinois ou la chinoise) ou circulaire : c’est une variété de défausse Lavinthal, applicable à SA et à la couleur. La défausse d’une petite carte est un appel pour la couleur au-dessous, étant entendu que ♠ est considéré comme en-dessous de ♣. La défausse d’une grosse carte est un appel pour la couleur au-dessus (♣ est au-dessus de ♠). Une variété non circulaire de la chinoise existe : on appelle dans les majeures avec une grosse carte (8, 9 ou 10) et dans les mineures avec une petite (2, 3 ou 4). Les 5, 6 ou 7 n’ont pas de signification.
On trouve aussi des appels amusants, genre gros rouge – petit noir, etc…
La diversité de ces approches montre à elle seule qu’il n’y a guère de recette miracle, car cela se saurait ! Une remarque très pertinente – comme toujours – de Michel Bessis se trouve dans son excellent livre Flanc gagnant – La signalisation, éditions du Bridgeur, 2002. Je cite : « […] Beaucoup de joueurs moyens […] attendent impatiemment une défausse de leur partenaire afin de pouvoir, dès qu’ils ont la main, rejouer dans l’appel qui a été fait ». Cette philosophie ne peut pas être celle du bridge, et encore moins celle des défenseurs. En effet, elle occulte complètement la notion de plan de jeu de la défense. Or, c’est bien en faisant un plan de jeu que celle-ci peut mettre à mal le contrat joué. Rappel : le « contrat » de la défense est de réaliser 14 – x levées, x étant le nombre de levées que doit faire le déclarant.
Une remarque – que je fais souvent – est que le mot d’« appel » devrait être banni du vocabulaire du bridge. Ce que vous cherchez à faire n’est pas d’appeler, mais bien de donner un renseignement à votre partenaire pour qu’il l’intègre dans votre plan de jeu commun. Il s’agit donc d’une signalisation et non d’un appel. Dans certains cas, vous pourriez même être bien déçus si le partenaire « obéissait » à votre « appel ». Exemple : vous voyez au mort, au contrat de 4♠, ♠873 ♥V3 ♦RDV1097 ♣A3. Dans le cours du jeu, le partenaire vous « appelle » à ♦, par exemple par un des moyens décrits ci-dessus. Il a donc l’♦A. Je pense et j’espère qu’il ne vous viendrait pas à l’idée de jouer ♦, qui affranchirait la couleur au déclarant et lui permettrait 5 défausses ! Au contraire, cette bonne « signalisation » vous permet d’être tranquille tant que votre camp contrôle la couleur et de tenter d’affranchir votre propre couleur, en rejouant ♣ par exemple, « à l’abri » de l’♦A de votre partenaire. La signalisation a été ici fort utile et n’est pas, de façon évidente, un « appel » !
Comment défausser ? Une bonne défausse est une défausse qui ne donne pas de pli… On voit trop souvent appeler avec une grosse carte « qui joue » (un 8 peut « jouer », parfois), ou avec une carte qui aurait fait un pli de longueur. D’ailleurs, le bon joueur de flanc ne doit pas regarder la signalisation comme une priorité. La priorité est de faire un bon plan de jeu de la défense, en s’efforçant de reconstituer la main du déclarant et celle de votre partenaire par tous les moyens qui vous sont enseignés et que vous finissez (ou finirez) par connaître. La signalisation passe au second plan !
D’autre part, il est évident que la signalisation ne doit pas donner au déclarant la clé du coup. Le déclarant demande souvent en cours de jeu : « comment défaussez-vous ? », question qui, je dois dire, me déconcerte toujours. D’ailleurs, le règlement prévoit qu’on peut poser ce genre de question avant le coup et non pendant. Cela fait partie du système exposé sur la feuille d’enchères de l’équipe. De plus, comme le rappelle Michel Bessis, toujours lui, la différence entre un joueur moyen et un champion réside dans le caractère secondaire de la signalisation. Quand le partenaire défausse, voici ce qu’il faut penser : « Tiens, c’est cette carte qui lui semble la meilleure pour ne pas donner de levée » et non « Tiens, il m’appelle ! ».
Vous avez donc compris qu’il ne s’agit pas de progresser dans ses appels, mais surtout dans l’art de la défausse ! La défausse technique consiste surtout à garder dans son jeu les cartes utiles, les Rois seconds, les Dames troisièmes et les Valets quatrièmes. En règle générale, il faut garder dans chaque couleur la même longueur que le mort ou le déclarant. Il faut également garder les cartes dont la défausse révélerait prématurément la teneur de la couleur au déclarant, garder une carte de communication avec le partenaire (SA), etc. Quelques conseils utiles : La première défausse se situe généralement dans une couleur cinquième. Quand vous tenez deux couleurs à vous deux, ne défaussez pas la même, et ainsi de suite… L’art de la défausse est l’un des chapitres les plus ardus du bridge.
Parfois tout de même, il faut signaler quelque chose à votre partenaire. Les systèmes « première défausse italienne », « Lavinthal », « chinois » et autres ont beaucoup trop d’inconvénients pour être retenus par les bons joueurs. Le système adopté et présenté par Michel Bessis est très simple, car c’est le même que celui qui est utilisé en fournissant, c’est l’appel direct : une grosse carte appelle, une petite refuse. Le principe général décrit trois appels différents : l’appel direct donc, mais en cas d’urgence seulement. La défausse, dans les cas banals, les plus fréquents, sera faite en pair-impair et/ou LPPDP (« la plus près du pouce »). On recourra à la défausse préférentielle quand la composition de la couleur est connue ou indifférente.
La défausse pair-impair est à faire à chaque fois qu’elle est indispensable, pour permettre au partenaire de savoir quand les communications entre le déclarant et le mort seront coupées, par exemple, ou tout simplement pour que le partenaire puisse faire le compte de la couleur. Elle est inutile si elle ne sert qu’à renseigner le déclarant : on utilisera alors LPPDP. Votre attitude dépendra du plan de jeu que vous avez adopté. Vous voyez une fois de plus combien il est important de se préoccuper plutôt du plan de jeu que de la défausse !
L’appel direct est utilisé en cas d’urgence, pour signaler une reprise à SA par exemple. Mais souvent, une grosse carte dans la couleur à signaler ne peut être jouée sans risquer de livrer une levée. On choisira alors plutôt de refuser (petite carte) dans une autre couleur judicieusement choisie. L’important est que le partenaire réalise que, compte tenu de la situation, la carte défaussée n’est pas un pair-impair, mais bien un appel ou un refus direct.
Les cours présentés dans ce site rappellent les principes présentés ci-dessus, qui sont ceux du Système d’Enseignement Français (SEF, édition 2012, pages 80 et 83). Ils ne sont pas exhaustifs, tant le domaine de la signalisation est vaste : Appel refus : notions, Signalisation (1), Signalisation (2), Signalisation, exemples, Flanc : appel ou parité.
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Cette multiplicité de systèmes
d’appelde signalisation montre bien qu’aucun ne se détache des autres, chacun ayant ses avantages et ses inconvénients. Personnellement, je pense que le meilleur système est le même que celui joué par le partenaire ! (avec une préférence aux appels-refus directs.)D’accord, bien sûr. Mais vous aurez remarqué que, par principe (psychorigidité ?) en tant que moniteur, je défends le système préconisé par le SEF. Il faut bien choisir quelque chose à enseigner.
Lorsque je parlai d’appels-refus directs je pensais aussi au système de signalisation FFB, celui que je pratique et que j’enseigne à mes élèves.
Bravo
Voila le site que j’attendais. Comprendre est la seule manière de retenir et de jouer intelligemment. A l’opposé du bridge business éditorial !
Evidemment je suis aussi partial car je porte le même nom. Vu les origines familiales du pays de Chailley , je ne serai pas étonné de découvrir un lien de parenté très ancien avec vous . Je communique votre nom au généalogiste de la famille.
Amicalement
NB Je suis un retraité fraichement converti au bridge et autodidacte rebelle ..à LEBEL!
Pourquoi » appelle » t’on avec une grosse et refuse avec une petite , au risque, en produisant une grosse, de perdre une levée – faire l’inverse ne serait-il pas moins risqué ?
Votre question est très pertinente. Et d’ailleurs, de nombreux joueurs appellent avec une petite carte pour la raison que vous évoquez. On dit qu’on joue « petit appel » ou plutôt « petit appelle ». Cependant, au total, l’avantage n’est pas évident. Vous pouvez pour vous faire une opinion lire les excellents ouvrages de Michel Bessis concernant la signalisation. Dans tous les cas, on n’appelle JAMAIS avec une carte qui peut jouer. On ne perdra donc jamais de levée (théoriquement !). La meilleure signalisation est en fait le refus (ou l’absence d’appel) d’une couleur dont on ne veut pas. Et en tout état de cause, en dehors des cas d’urgence, il y bien une signalisation, mais pas d’appel…
Cher Monsieur,
Merci pour votre excellent site que j’ai recommandé à mes camarades de jeux et qui fait l’unanimité. Que pensez vous du système qui consiste à défausser uniquement dans une couleur ne présentant pas d’intérêt, mais en y donnant la parité ?
Cordialement.
Cher ami bridgeur, merci de vos compliments encourageants. Je ne connais pas votre niveau de bridge, mais votre demande me fait penser que vous n’êtes pas débutant. Un système où l’on utilise exclusivement le pair-impair est pratiqué par de nombreux champions, qui réservent les appels aux cas d’urgence (couleur pour se retrouver après une coupe, par exemple). Ce sont d’ailleurs souvent, dans ce cas, des appels préférentiels. Dans les autres cas, 2 arguments pour ne pas faire d’appel : 1°) Ne pas renseigner l’adversaire. 2°) « Pas la peine de m’appeler, je sais ce que tu as ». Quant au pair-impair, il doit cesser d’être produit dès que le renseignement ne peut profiter qu’au déclarant et non au partenaire. C’est l’expérience qui vous dicte ce moment… Donc, je ne pense que du bien de votre réflexion.
Bien cordialement et bridgeusement,
Olivier CHAILLEY
Cher Monsieur,
Tout d’abord je dois vous féliciter sur ce superbe site consacré au bridge et dont les explications sont très pertinentes et accessibles. Je le dis d’autant plus facilement que je suis nouveau pratiquant de ce jeu et donc débutant. Mon jeune âge ne me permet pas de jouer autant que je le souhaite et je prends donc plaisir à lire tout ce qui me tombe sous la main concernant le bridge.
Petite question concernant votre article : (n’oubliez pas que je suis débutant) comment peut-on faire la différence entre la défausse pair-impair et l’appel direct. Je sais qu’il faut se mettre d’accord avec son partenaire mais si on pratique les deux, comment fait-on?
Merci par avance.
William
Cher ami bridgeur, TOUS les appels se pratiquent, donc les TROIS formes d’appel (pair-impair, appel de préférence et appel direct) peuvent apparaître dans la même donne… Le tout est de les reconnaître. Je me suis efforcé de vous en enseigner les circonstances dans ce cours. Vous pouvez vous aider des excellents livres de Michel Bessis : « Le flanc gagnant » et autres. Sachez qu’au début, vous vous tromperez souvent (sujet de discorde avec le partenaire). Sauf cas d’urgence (appel direct), je vous recommande de vous exercer au pair-impair strict, avec les quelques rares exceptions des premiers cours sur la question. Et l’expérience viendra (j’espère !).
Bien cordialement,
Olivier CHAILLEY
Cher M. Chailley,
(J’estime mon niveau 1ère série) j’étudie actuellement la signalisation et vous remercie infiniment pour toute votre littérature. Voudriez-vous donner votre avis sur la réponse à l’entame du joueur n°3 dans la donne suivante. Enchères, sans intervention : 1SA, 2♦, 2♥, 2SA, 4♥, fin. Entame d’Ouest : 7♠. Le mort s’étale : ♠V4 ♥A9853 ♦R72 ♣V92 et met le ♠V. Ma main (Est) : ♠10982 ♥D62 ♦AV93 ♣R3.
Ma réflexion est la suivante : l’entameur n’a pas l’♠A, le pli sera pris par le ♠V et le 2ème ♠ du mort par l’♠A du déclarant. Indiquer ma parité n’a donc aucun intérêt et je mets le 10♠ pour signaler ma préférence pour les ♦ (car j’ai l’♦A qui suit le ♦R).
Ouest comprend que je n’ai l’♠A, ni le ♠R, et comprend la signification de ma carte.
Qu’en pensez-vous ? Merci.
Cher ami bridgeur,
Vu de votre côté, le raisonnement est bien sûr sans faille, mais mettez-vous à la place de l’entameur, qui peut parfaitement (et même certainement) avoir entamé sous le ♠R ou la ♠D et qui voit le ♠10. Comme il y a deux cartes au mort, et que vous n’avez pas surpris le ♠V, il en déduit que le déclarant possède tous les autres honneurs que le sien éventuel (ou bien ♠ARD s’il a entamé vraiment neutre, évidemment, mais alors pourquoi le mort aurait-il passé le ♠V ? : peut-être pour « bluffer »…). La parité dans la couleur pourrait dans ce cas en effet n’avoir aucun intérêt, et la carte jouée par le partenaire serait alors préférentielle… Mais je nuancerai sérieusement cette conclusion : 1°) L’entame du ♠7 provient certainement de 4 cartes, et il y a donc 3 cartes à ♠ chez le déclarant (♠ARx ou ♠ADx), et il est important que l’entameur connaisse le nombre de défausses possibles au mort du déclarant. La parité doit donc être privilégiée à mon sens ne serait-ce que pour « refaire la main » du déclarant. Celui-ci croira donc à une parité. 2°) Le fait que le déclarant passe le ♠V semble prouver qu’il n’a pas le ♠10 dans la main, car il aurait laissé filer. Vous l’avez donc. 3°) Le fait que vous le jouiez prouve simplement que vous avez le ♠9 et à mon avis n’a pas d’autre signification : « une cartes ne véhicule JAMAIS deux messages » (M. Bessis).Vous avez donc ou 3 ou 4 cartes : ♠1098 (ou ♠109x) ou ♠1098x (à la rigueur ♠109xx) : ici, le ♠10 n’indique donc même pas une parité. 4°) Pourquoi faire un « appel » ou plutôt une signalisation à ♦, qui à mon avis ne servira qu’au déclarant ? Le déclarant, s’il veut défausser un ♦, le fera toujours quand il voudra. D’autre part, si votre partenaire joue à un moment donné ♦, vous passerez de toute façon la « carte technique », le ♦V, gardant l’♦A pour le ♦R, au cas où le déclarant posséderait la ♦D. Et il faudra bien que celui-ci joue « un jour » ♦.
Mon avis (que vous pouvez toujours critiquer bien sûr avec votre partenaire) : 1°) Avec 2 cartes au mort, même si le raisonnement me dit quelquefois de faire autrement, je préfère suivre la règle générale (ici, évidemment comme vous le ♠10), n’espérant pas que mon partenaire comprenne un appel préférentiel (il n’a pas forcément le même raisonnement que vous). 2°) Il est en réalité exceptionnel, après une ouverture d’1SA, qu’il faille faire un appel, parce que a) votre partenaire connaît très bien votre nombre de points et peut rapidement localiser vos honneurs (ce que le déclarant ne peut pas faire…), b) le plus souvent, comme ici, le plan de jeu du déclarant est limpide, et vous pouvez établir un plan de jeu de la défense sans signalisation du tout !
Bien cordialement,
Olivier CHAILLEY
Cher Monsieur,
Dans vos articles sur la défausse ou sur les appels vous mentionnez l’utilisation du pair-impair, que je connais bien, mais aussi de LPPDP : la plus près du pouce, sans préciser de quoi il s’agit. J’ai beau chercher, dans votre site ou dans une recherche plus globale en ligne, je ne trouve rien. Pourriez-vous m’éclairer ? Merci d’avance.
Cordialement,
Françoise DE VOS
Chère amie bridgeuse,
Il ne s’agit là que d’une formule imagée pour dire : ce qui vous passe par la tête ; ou bien : n’importe quelle carte, par exemple celle qui, étant la plus près du pouce, est la plus facile à jouer (c’est souvent la plus petite carte)… C’est une ancienne expression qui était utilisée dans de nombreux jeux de cartes, et que certains vieux moniteurs, comme moi, utilise toujours. Ne cherchez pas plus loin !
Bien cordialement,
Olivier CHAILLEY